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Contrôle social et politique sécuritaire

samedi 20 septembre 2008

Intervention de Dominique Guibert, membre du Bureau national de la LDH, à l’Université d’été des Verts, Toulouse le 23 août 2008

Nous sommes sans doute à un moment d’évolution très important de la politique sécuritaire du gouvernement. Les interventions précédentes, celle de notre ami du collectif Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) sur la gravité de la situation (d’autant plus accentuée, selon lui, qu’elle est intériorisée), d’Hélène Flautre sur la multiplication des fichiers et d’Etienne Tête sur les instruments de la politique publique de sécurité ont détaillé les différents aspects de ce cumul. Je commencerai par définir les deux aspects du contrôle social. Puis je détaillerai l’existence éventuelle de supposées valeurs centrales et partagées de la société. Ensuite, je tracerai les contours d’une sorte de frénésie sécuritaire, et, après un détour intéressant par l’histoire, je terminerai par ce que je considère comme le cœur de ce système, la naturalisation de la délinquance.

Qu’est-ce que le contrôle social ?

On donne classiquement au contrôle social deux aspects :

1. c’est un mécanisme de régulation individuelle en fonction d’un système de normes plus ou moins stables dont notre ami du collectif LGBT a montré qu’elles pouvaient être puissamment intériorisées. Dans le cas d’une société unifiée ou très contrôlée s’imposent des valeurs centrales et acceptées ou imposées, mais dans le cas d’une société éclatée et divisée ou simplement diverse, il existe une cohabitation de plusieurs systèmes référentiels.

2. c’est un ensemble de dispositifs publics de surveillance et de répression. Là aussi, il convient de faire la distinction entre ce qui relève de la délinquance, c’est-à-dire la norme pénale et ce qui relève de la déviance, de l’imposition d’une norme sociale qui veut organiser le normal et le pathologique, le conforme et le non-conforme.

C’est dans cette combinaison possible d’éléments que nous devons situer notre réflexion sur le contrôle social aujourd’hui. Quelles en sont les caractéristiques ? Dans quelle « phase » nous trouvons-nous ? Car la combinaison de ces éléments n’est pas figée. Ainsi un système central de normes partagées n’induit pas une limitation du contrôle social à la seule délinquance pénale… si le système n’est pas démocratique !

De la sécurité au sécuritaire : valeur et politique

La stratégie du président de la République est de faire comme si les valeurs centrales de la société française en matière d’orientation et de pratique politiques étaient la sécurité et le sécuritaire. Nous nous souvenons tous de la mâle posture de Sarkozy, affirmant que la recherche des explications à une situation de délinquance n’est en réalité que la volonté de trouver des excuses aux délinquants par ceux qu’il stigmatise comme étant des « naïfs » et des « bonnes âmes ».

Deux éléments apparaissent comme centraux dans l’expression de ce que le gouvernement pense des réflexions des citoyens français :

· Il ne fait pas l’analyse des délinquances au pluriel, mais stigmatise la délinquance au singulier. Peu importe alors que les atteintes graves aux personnes, crimes, violences, viols ne constituent que 1 % des actes de délinquance. Ce qui importe c’est de pouvoir dire que « la » délinquance augmente avant l’action du gouvernement, et diminue après ! Ces chiffres synthétiques, ces agrégats n’ont aucune valeur explicative, et, comme tous les indicateurs de ce type, ils sont critiquables. Ainsi les bons analystes de ce secteur ont depuis longtemps démontré que ce qui est mesuré est l’activité policière, dont l’étendue est fortement dépendante d’une hiérarchie et d’un commandement militarisés. On a gardé en mémoire cette observation où, dans une même situation de suppression annoncée de structures locales de police, la délinquance avait beaucoup augmenté par endroits, alors qu’ailleurs elle avait fortement diminué. L’explication en est que pour montrer leur utilité, les uns s’étaient lancés dans la suractivité, et les autres enfermés dans la sous-activité !

· la permanence de la caractérisation délinquante d’une personne dont la récidive n’est pas une possibilité, mais une certitude. C’est alors la dangerosité qui justifie une mise à l’écart administrative, à la suite de l’exécution de la peine, et son fichage à vie. La tentation va même plus loin, car comme la dangerosité n’est pas visible avant le délit, le mieux est la connaissance d’une part des caractéristiques individuelles qui permettront ensuite la meilleure identification, et d’autre part des déviances, des actes qui pourraient expliquer le passage à la délinquance. Ainsi la norme sociale se confond avec la norme pénale, et, comme l’a dit dernièrement Alex Turk, président de la Cnil à propos du bracelet électronique, le fondement de la politique judiciaire change et la séquence « peine-réparation-oubli » n’existe plus.

Les exemples sont nombreux de cette implication directe du président de la République dans la campagne sécuritaire. Il n’est qu’à voir la façon dont chaque crime odieux devient autant d’occasions pour lui de justifier sa politique, de se saisir de la peur des Français, d’interpréter leur demande de sécurité. La moindre critique provoque un fond roulant de trémolos et de propos outrés, qui renvoie les contradicteurs dans le camp des assassins. Se présentant comme le garant des gens normaux, le président de la République, ne pouvant ou ne voulant pas revenir sur la suppression de la peine de mort, justifie toutes les autres orientations, y compris les plus involutives de la philosophie judiciaire qui organise l’exécution des peines.

Il est vrai que ce n’est pas une surprise, que les Français qui ont voté pour Sarkozy étaient prévenus puisque lui-même a fondé sa crédibilité sur son passage au ministère de l’Intérieur. Il n’est donc pas étonnant que le triptyque « ordre-discipline-sanction » ait été à la base d’une assez belle victoire électorale. Lesministres ont logiquement suivi, les uns se contentant d’un servile et muet suivisme comme à l’Intérieur, et les autres faisant preuve d’un affligeant psittacisme d’épigone, comme à la Justice, ou d’un activisme de zélateur, comme au ministère de l’Immigration.

Cette conception de la délinquance qui présuppose le caractère délictueux de tout fait social anormal a des implications concrètes : tous les jours, les militantes et les militants que nous sommes s’affrontent au réencastrement de la politique de l’immigration dans la politique sécuritaire ou à la mise en place scandaleusement abusive du prélèvement ADN pour n’importe quel type d’incrimination, ne serait-ce qu’une infraction !

Ce qui fut une part importante de la victoire électorale présidentielle est devenue une part majeure du message. Mais il convient de rappeler que sa principale opposante, Ségolène Royal, ne lui a pas opposé un discours radicalement différent… allant même jusqu’à se livrer à une certaine surenchère, tel l’encadrement militaire des centres fermés pour mineurs délinquants. Cette crédibilisation offerte du discours sécuritaire a renforcé le choix pour Sarkozy de nombre d’électeurs qui jusque là réservaient leur voix pour le candidat du FN.

La situation apparaît comme assez désespérante, certes, mais je voudrais montrer qu’elle n’est pas désespérée ! Car la bataille est engagée et elle fait rage. A moins de considérer que la « société française » est passée « à droite », ce qui signifierait que dans un pays démocratique fondé sur une représentation élective, il ne resterait aux opposants que des batailles défensives le dos au mur, l’heure n’est sans doute pas au repli. Car l’état de « l’opinion publique » est plus contradictoire que ce que l’on craint. A preuve, la crédibilité acquise des réseaux de militance tel le RESF, l’existence de regroupements de lutte variés et nombreux, dans lesquels des femmes et des hommes ont choisi de militer. Mais il faut accepter de dire que cette participation politique, souvent distanciée des organisations et des programmes, bref des partis politiques, comme le montre bien le modèle présenté par des sociologues comme Jacques Ion, de « l’engagement distancié », ne contrebalance pas, pour l’instant, la survalorisation de la sécurité comme valeur de reconnaissance largement partagée : Sarkozy est le protecteur contre tous les risques.

Mais l’état de l’opinion est moins statique à son profit que ce que veut croire le président de la République. En l’occurrence, il n’apparaît pas comme le rempart en matière économique et, de façon très intéressante, les études d’opinion montrent que les Français sont en majorité d’accord avec les régularisations des travailleurs sans papiers et pour le droit de vote des étrangers issus de pays hors Union européenne aux élections locales. C’est un encouragement : les travailleurs plus les parents d’enfants scolarisés, cela doit faire en gros la totalité des sans-papiers…

Le tout sécuritaire : vers un contrôle généralisé ?

Dans cette situation, où la réussite politique supposée satisfaire les électeurs est la maîtrise de tous les risques, le gouvernement accentue cet instrument dont il dispose en propre, la politique sécuritaire et ses instruments. Ce surinvestissement semble sans partage ni limite grâce à l’avènement et l’arrivée à maturité de beaucoup d’instruments de haute technologie.

C’est ce que veut rendre le titre choisi par Laurent Mucchielli et ses co-auteurs pour décrire « La Frénésie sécuritaire », dans un livre très récent paru à La Découverte et qui porte en sous-titre explicite : Retour à l’ordre et nouveau contrôle social.

Avant de décrire les logiques de ce contrôle généralisé, je voudrais que nous nous interrogions sur une difficile question préalable : quel est le degré d’acceptation par les différents groupes qui composent la société des techniques intrusives ? Je vois deux formes non exclusives l’une de l’autre de cette acceptation :

· « Je n’ai rien à cacher, donc ça m’est égal »

· « Ca me sert, c’est utile, c’est plus facile, c’est donc indispensable pour consommer et pour vivre. »

On voit bien quelles en sont les conséquences. Pour la première forme, c’est la disparition de la différence entre la norme sociale et la norme pénale, qui fait que toute déviance est considérée comme un marqueur d’une possible délinquance. Et la normalité devient la mère de la sécurité ! Et la marginalité (par rapport à une valeur centrale de référence) est alors le précurseur de la criminalité. Pour la deuxième, on pourrait distinguer un double mouvement : d’une part une sorte d’appropriation d’un bout de l’espace public (téléphone portable, baladeur, tous les appareils mobiles en général) et d’autre part de marchandisation de la sphère privée. Où l’on voit que normalité, conformité et publicité se confondent…

Je dois dire que l’intervention précédente du collectif LGBT m’amènerait à ajouter une troisième forme de cette acceptation, potentiellement dramatique pour les personnes qui la vivent : c’est l’intériorisation de sa propre orientation personnelle comme déviance par rapport à la norme sociale.

Quoiqu’il en soit, pour les partisans du contrôle généralisé, la seule norme sociale acceptable est la norme unique. C’est là qu’est la logique : caractériser tout le monde, pour que personne n’échappe à la classification.

Les logiques instrumentales à l’œuvre pourraient se définir ainsi :

· La multiplication de la création de fichiers

· L’extension des fichiers existants, EDVIGE par exemple comme archétype

· La disparition du principe de finalité (la recherche de tout type de correspondance qui se transforme alors en variable explicative)

· L’interconnexion des fichiers et donc la fin de la recherche dédiée

· L’affaiblissement des contre-pouvoirs de contrôle, Cnil et autorités administratives indépendantes

· La forte implication du secteur marchand dans la création et l’utilisation des Systèmes de gestion de base de données (SGBD)

· La biologisation du contrôle (ADN, biométrie)

· L’invisibilité grandissante des systèmes (par exemple le système Navigo en région Ile-de-France)

On passerait ainsi d’une civilisation de « l’identifiable » (si nécessaire, je peux dire qui je suis), à une civilisation de « l’identifié » (je suis celui que je prétends être) pour aller bientôt à une société de « l’authentifié » (je suis bien celui que le gabarit biométrique préalablement et préventivement pré-enregistré dit que je suis)… L’habitude se prend dès le plus jeune âge, les cartes à puce pour tous les actes de la vie scolaire (cantine, bibliothèque, sortie…) et courante (transports, loisirs, santé…). Et la facilité est un puissant incitateur (consommation, crédits renouvelables…). Enfin l’impossibilité d’y échapper (passe Navigo !) un facteur de renoncement.

Et bientôt, faire l’amour en laissant les fenêtres et les volets clos ne sera plus qu’une guerre lasse. Dans un monde de Classified people, pour reprendre le titre de cette terrible enquête filmée du temps de l’apartheid en Afrique du Sud, il n’y a pas de place pour l’incertitude.

La technique et la politique

Arrivés à ce stade de la réflexion, il convient de s’interroger sur ce que serait le cœur du système sécuritaire qui se met en place. Est-ce une nouveauté ? Ou bien cette dernière réside-t-elle dans la systématisation des processus et la performance des machines ? Est-ce parce que la maturité des techniques est atteinte ? La technologie est-elle à l’origine du contrôle ? Ou plus exactement, est-ce que c’est parce que la technique existe que la politique se développe, ou bien est-ce que parce qu’il y a volonté politique que les techniques sont utilisées ?

Je plaide pour l’idée que c’est la politique qui oriente l’utilisation des techniques et qu’il faut donc chercher le fondement de la politique sécuritaire et pénale du gouvernement ailleurs que dans le mouvement propre de la technique.

Je vous propose un détour historique. Le chercheur Vincent Denis a publié tout récemment un ouvrage, issu de sa thèse : Une histoire de l’identité en France, 1715-1815 aux Editions Champ Vallon. C’est une lecture passionnante et fortement recommandée dans ces temps de priorité donnée à la sécurité. Etonnantes archives ! L’auteur montre comment au fur et à mesure de l’élargissement de l’espace sensible par les habitants et de la systématisation de la référence à l’Etat centralisé, on passe pour l’identification de la population de l’interconnaissance physique entre les personnes à l’inter-reconnaissance de papiers apportant la preuve de l’identité. Vincent Denis montre que les guerres, l’espionnage, le développement des marchés, ainsi que la violence des combats ont justifié le recours à un seul système d’identification, unifié et centralisé. Ainsi, le nombre grandissant des désertions dans des armées très nombreuses de Louis XIV, à l’Empire, en passant par la Révolution française, compte tenu de la violence des combats, ont renforcé l’utilisation d’un système d’identification. Tous ces pauvres hères se joignaient à la masse des vagabonds et des marginaux. Comme il s’agissait d’un délit – le vagabondage était passible d’enfermement et de châtiments corporels, si ce n’est des galères – les chargés de la police, au premier rang desquels les lieutenants généraux des grandes villes, ont acquis la conviction que pour contourner les difficultés de l’identification, très fortes à ces hautes époques où n’existait pas une systématique de la description, la seule solution était le fichage généralisé de toute la population. Ainsi fut dépassée, dès l’Ancien régime, de Louis XIV à Louis XVI, la question de l’application aux seuls groupes « à risque » de l’obligation de posséder des papiers… Alors que les personnes concernées elles-mêmes n’avaient ni les moyens financiers ni les connaissances ni la stabilité pour en avoir. C’est dès ce moment-là que commence à se dégager l’idée que pour contrôler les anormaux, c’est tout le monde qu’il faut normer ! Et c’est le travail de Fouché, ministre de la police sous Napoléon 1er, de l’avoir institutionnalisé avec des fonctionnaires formés pour lire et utiliser les papiers.

L’effroi qui nous gagne devant la technique doit donc être raisonné par la primauté de l’analyse politique. Le degré d’une technique est contingent. Sous Fouché, les techniques utilisées étaient à la pointe du progrès de l’époque. Il faut se garder du regard rétrospectif et de l’anachronisme. En faisant ce détour par l’histoire, je voulais montrer que le fichage généralisé de la population aux fins de contrôle des marginaux n’est pas une conséquence de la technique, mais une décision politique. Vincent Denis exhume des archives qui révèlent l’ébahissement de marchands étrangers qui constataient, lors des contrôles, l’efficacité des services de polices de Paris… Je risquerais donc l’idée suivante : les techniques sont cohérentes ensembles dans le même mouvement historique. Au voyage à cheval correspond un certain type de fichiers papiers. A l’avion et au TGV, répondent les fichiers informatiques. On ne peut considérer qu’aujourd’hui, c’est le progrès technique qui autorise le fichage généralisé. Quand des techniques correspondant au degré scientifique de leur époque existent, c’est la volonté politique qui décide de leur mise ou non en pratique.

Dans ces années se met en place ce que Vincent Denis appelle le « basculement conceptuel où l’identification écrite devient la norme et où s’ébauche la figure sulfureuse du sans-papiers ».

La naturalisation du risque de délinquance

Cette transition me permet d’aborder ce qui me semble être, au-delà de l’utilisation de techniques qui doivent être en permanence contrôlées et dominées, le cœur de la politique sécuritaire et pénale du gouvernement actuel, et d’un président qui en est le chantre et le garant. Il s’agit d’une re-naturalisation du risque, au sens où ce ne sont pas des individus qui sont délinquants, mais des groupes, des populations qui sont prédisposées à la délinquance. Et en toute logique, un individu issu de ces groupes ne peut échapper à son groupe et la récidive n’est qu’une question de temps. La mécanique est la même, que la détermination du groupe soit psychologique, matérielle, politique, sociale ou même ethnique. Au-delà du fichage généralisé qui se justifierait pour tenter de contrôler ces groupes à risque, ce qui apparaît est bien l’ensemble des politiques et des pratiques, des systématisations et des caractéristiques supposées qui érigent des populations en groupes potentiellement dangereux. C’est ce qu’avance Jean Danet, avec la théorie des « populations problématiques », dans un article de l’excellente revue de la LDH Hommes&Libertés : « Politique sécuritaire et contrôle social, deux faces d’un même danger » : « Des politiques publiques spécifiques appréhendent toujours plus de ‘ populations problématiques ’, avec un point commun : elles concernent des populations qui sont sans exception pensées aujourd’hui comme à la fois vulnérables et menaçantes. Ce sont des populations envisagées comme sujets collectifs, non plus comme des collections d’individus, mais comme un ensemble défini et caractérisé. […] Ce dont il est question ici, c’est de l’objectif que les politiques publiques se donnent quant au devenir de chacune de ces populations en tant que sujet collectif. C’est ici que le contrôle social s’exerce. Et ici, on peut constater une vraie diversité de la fabrique. Il peut s’agir d’isoler cette population, de la constituer en catégorie là où elle n’était pas. Il peut s’agir de la mesurer, de la ficher, de l’ ‘ intégrer ’ ou de l’exclure, de la dissocier, la fragmenter, de la distinguer d’une autre catégorie, d’en assurer la visibilité ou au contraire de la rendre socialement invisible, de lui assigner des espaces, ou, au contraire, de l’exclure des espaces qu’elle a conquis, de lui dessiner des parcours sociaux vers plus de droits ou d’allonger ces parcours, etc. […] Ces nouveaux modes de contrôle social se sont ‘ branchés ’ depuis dix ou quinze ans environ sur les nouvelles technologies. Il en résulte un contrôle social qui peut être beaucoup plus général encore que celui qui vise des‘ populations problématiques ’, et qui passe par le recueil de toutes sortes de données et informations à caractère personnel. La logique repose sur l’idée que des risques de toute nature existent, qu’il faut déceler, mesurer. »

On voit que ce concept de contrôle social est bien plus large que celui qui le réduirait à une nouvelle amélioration du contrôle policier. Il s’agit bien d’un quadrillage social sur la base d’une conception naturaliste du risque social. Ce que je voulais montrer est que nous devons écarter donc deux types de conceptions trop réductrices :

· Ne se concentrer que sur l’évolution de techniques pour condamner les dégâts du progrès ;

· Réduire la politique gouvernementale à une dérive policière.

C’et pourquoi la similitude avec le débat pénal du XIXe siècle m’a semblé éclairante avec le retour de la notion de « dangerosité » que les positivistes de l’époque mettaient en avant, sur fond de « classes laborieuses, classe dangereuses » pour justifier la peine de mort, le bagne, les travaux forcés, les longues peines, et la stigmatisation sociale à vie. La présentation, par Sarkozy, d’une espèce de salmigondis idéologique qui fait appel à la prédisposition génétique, à la rodomontade de tribune, à la relativisation de l’excuse de minorité, a ouvert la voie aux peines automatiques, à la rétention de sûreté, à la mise à l’écart sociale, à l’aggravation continue des peines, etc. Contrôle social, politique pénale, propagande sécuritaire sont les conséquences de ce substrat idéologique, de ce nouvel avatar de la lutte du bien contre le mal.

Intervention de Dominique Guibert, membre du Bureau national de la LDH, à l’Université d’été des Verts, Toulouse le 23 août 2008